La déclaration de son état de faillite est ouverte à toute entreprise. La Cour de cassation a mis fin à la polémique le 18 mars 2022 et a jugé qu’une entreprise doit être un minimum organisée sur un plan administratif, humain, économique afin d’assurer son administration. A priori ce n’est pas le cas d’un mandataire qui bénéficie de l’organisation mise en place par la personne morale qui l’a désigné pour exercer son mandat.
1) Introduction
Une controverse existe depuis plusieurs années afin de savoir si un mandataire de personne morale (société, association, etc.), elle-même une entreprise, qui exerce son mandat d’administrateur ou de gérant confié par l’assemblée générale peut aussi être considéré comme une entreprise ?
2) Position controversée
Avec la notion de la commercialité introduite au dixième-neuvième siècle, peu avant la naissance de la Belgique, un commerce qui est exploité par un mandataire n’entraine pas que celui-ci acquiert, de ce chef, la qualité de commerçant : c’est le mandant (personne morale) qui a pareille qualité et pas le mandataire (administrateur ou gérant) (Fredericq, t. Ier, 1946, n° 59 ; Van Rijn, t. Ier, 1954, n° 98).
La réforme du droit de l’entreprise en novembre 2018 et en mai 2019 a modifié certaines positions.
La nouvelle définition d’une entreprise a donné lieu, à partir de ce moment, à des difficultés d’interprétation, principalement issues des travaux préparatoires qui laissent subsister des ambiguïtés ou des contradictions.
Ainsi, le législateur de 2018 ne semble pas avoir exclu la possibilité d’une interprétation de la notion d’entreprise pour le mandataire de société, sans pour autant que son intention de modifier la nature de la fonction d’administrateur ou de gérant soit univoque.
Pour certains auteurs, « le législateur a sciemment fait entrer les personnes physiques exerçant un mandat de gestion dans une personne morale dans le champ d’application de l’insolvabilité » (Z. Pletinckx, Le champ d’application des procédures, in La réforme du droit de l’insolvabilité et ses conséquences (sur les avocats) : une (r)évolution ?, Larcier, 2017, p.21).
Pour d’autres auteurs, rien ne justifie ni ne démontre que, par l’introduction de la nouvelle notion d’entreprise, le législateur ait entendu revenir sur cette distinction antérieure de nature entre le mandant personne morale et son mandataire, qui en est simplement l’organe.
Selon la doctrine, « ce serait à plus d’un titre étrange de qualifier sans discernement les administrateurs ou gérants comme des entreprises alors qu’ils en sont les organes » (I. Verougstraete (dir.), Manuel de l’insolvabilité, Wolters Kluwer, 2019, p. 45, n° 29).
3) Le livre I du Code du droit économique (CDE)
L’entreprise trouve sa définition à l’article XX.1.22,7/1, du code de droit économique (CDE), qui renvoie à la définition de base prévue à l’article I.1, 1° : « sauf disposition contraire, pour l’application du présent code, on entend par : 1° entreprise : chacune des organisations suivantes : a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant (…) ».
Le mandataire administrateur ou gérant d’une entreprise est une personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant. Ces deux points ne sont pas contestés.
Pour être une entreprise, le mandataire d’une personne morale doit réunir trois conditions :
- être une organisation ;
- être une personne physique ;
- exercer cette activité professionnelle à titre indépendant ;
Au sens de l’article I.1, 1°, a), CDE, l’activité professionnelle s’entend comme toute activité habituelle générant des revenus. Le critère de continuité et de durabilité étant déterminant, tandis que cette disposition ne distingue pas selon que l’activité est exercée à titre principal, d’appoint ou accessoire.
La fonction de mandataire, administrateur ou gérant, d’une société implique une permanence et consiste en des prestations de services, lesquelles sont une activité économique.
4) La personne physique exerce un mandat professionnel à titre indépendant pour une personne morale
La définition de l’entreprise vise spécialement une organisation qui sera analysée au point suivant. Examinons les autres critères : le deuxième ne pose pas de difficulté et le troisième rencontre des notions fiscales et sociales.
La notion d’indépendance relève du droit social (article 3, par. 1er, al. 1er, AR 27 juillet 1967, INASTI) et du droit fiscal (articles 30, 2°, et 32, par. 1er, CIR92 et article 4, CTVA).
En droit social, un mandataire, également dénommé dirigeant d’entreprise, n’est pas un salarié de l’entreprise.
Il n’agit pas sous la subordination de l’entreprise mais est présumé exercer son mandat en qualité de travailleur indépendant
Cette présomption est certes réfragable dans l’hypothèse où, par exemple, plusieurs administrateurs existent et qu’un administrateur avec mandat gratuit est également rémunéré à titre de travailleur salarié pour un contrat de travail (sous réserve de l’application des articles 5bis et 13, par. 3, de AR 27 juillet 1967).
En soi le mandat d’administrateur ou de gérant reste soumis au régime des travailleurs indépendants. Simplement, un administrateur avec un mandat gratuit ne cotisera pas, sous conditions, au régime social des travailleurs indépendants étant donné qu’il cotise à la sécurité sociale des travailleurs salariés.
En droit fiscal, impôts sur les revenus, la qualification principalement provient de celle reprise en matière de droit social. Des principes d’absorption existent mais ne sont pas relevant dans le cadre de la présente contribution. Pour la TVA, l’indépendance de l’assujetti dans l’exercice de l’activité est une notion essentielle pour être qualifié comme tel.
Les conditions d’exercer l’entreprise par une personne physique, à titre professionnel et indépendant ne posent pas de difficultés particulières pour le mandataire d’une personne morale.
Reste à savoir s’il est une « organisation » ?
5) Notion d’organisation de l’entreprise
Le fait que les prestations de services sont effectuées à titre indépendant par une personne physique, entraine-t-il que celle-ci est, en soi, une « organisation » au sens de l’article I.1, 1°, a), du Code de droit économique ?
L’exercice d’un mandat d’administrateur ou de gérant ne se rattache pas, conceptuellement, au critère « organique » ou « formel » par lequel le législateur a annoncé vouloir remplacer l’ancien critère « matériel » dès lors que « le seul fait, pour une personne physique, d’exercer un mandat de gérant ou d’administrateur n’implique, en soi, aucune organisation propre, toute l’organisation étant liée à la société », et qu’« il faut vérifier si le mandataire démontre que, du seul fait de sa qualité d’administrateur ou de gérant, il peut être considéré comme une entreprise, c’est-à-dire qu’il est une organisation en personne physique exerçant une activité professionnelle à titre indépendant » (Cour appel Mons, 14 juillet 2020).
Pour le professeur Verougstrate, « Le seul fait, pour une personne physique, d’exercer un mandat de gérant ou d’administrateur n’implique, en soi, aucune organisation propre ; toute l’organisation est liée à la société » (I. Verougstraete (dir), Manuel de l’insolvabilité, Kluwer, Waterloo, 2019, n° 29, p. 47).
Cette organisation propre n’existe pas lorsque le mandataire n’a mis en place aucune structure pour exercer son activité professionnelle, lorsqu’il ne tient pas de comptabilité réelle de cette activité ou qu’il ne contracte aucun engagement personnel.
C’est quasi toujours le cas où la personne morale prend des engagements, contracte avec les tiers et tient la comptabilité de son activité professionnelle. Toute l’organisation est liée à la personne morale et caractérisée par la manière dont les dirigeants utilisent les moyens matériels, administratifs, financiers et humains agencés pour le développement de la personne morale.
Le fait que parfois (souvent), les dirigeants soient appelés à garantir en sureté les opérations de la personne morale n’engendre pas naturellement la mise en place d’une organisation par ce mandataire. Cette demande principalement d’organismes dispensateurs de crédit intervient lorsque la personne morale ne répond pas suffisamment aux critères de solvabilité. Cette surface de garantie financière doit alors être recherchée auprès de tiers, dont les mandataires de cette personne morale qui s’engagent alors à titre personnel. Cela n’engendre pas en soit qu’il contracte à titre personnel.
Le mandataire n’exerce pas une activité professionnelle à titre indépendant puisqu’il n’engage a priori pas sa propre responsabilité mais celle de la personne morale dont il est l’organe.
6) La décision de la Cour de Cassation
En date du 18 mars 2022, dans son arrêt C.21.0006.F, la Cour de cassation confirme l’arrêt de Cour d’appel de Mons du 14 juillet 2020 qui avait refusé de déclarer l’état de faillite personnelle du mandataire gérant d’une société.
L’enseignement de cet arrêt est qu’une personne physique n’est une entreprise, au sens l’article I.1, 1°, CDE, que lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant.
Il s’ensuit que le gérant ou l’administrateur d’une société qui exerce son mandat en dehors de toute organisation propre n’est pas une entreprise.
7) Conséquence de cet arrêt pour les mandataire de personne morale
L’article XX.99 du Code de droit économique énonce que le débiteur qui a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit est ébranlé est en état de faillite.
Le but principal des mandataires qui invoquent être une entreprise est de bénéficier de l’effacement de leurs dettes personnelles lors de l’état de faillite déclarée de la personne morale dont ils étaient l’administrateur ou gérant (cf. sur cet effet pervers C. Alter, « Le gérant d’entreprise est-il une entreprise ? », Liber Amicorum O.E.C.C.B., Anthémis, 2019, 188).
En effet, l’effacement des dettes n’est possible que pour une personne physique préalablement déclarée en état de faillite personnelle. Cette situation n’est cependant pas la panacée car elle entraine, par la curatelle, la réalisation de tous les actifs de cette personne physique et donc souvent aussi les immeubles privés.
Par contre, lorsque le patrimoine est restreint, l’effacement des dettes est une solution efficace qui permet immédiatement de repartir à zéro, sans dettes privées ou professionnelles.
A Bruxelles, trois-quarts des faillites ne comportent pas un actif suffisant pour payer les honoraires de la curatelle. C’est dire combien la consistance des actifs est quasi nulle.
8) Solution pour le mandataire en difficulté
A partir du moment où un mandataire sans organisation professionnelle ne peut être déclaré en état de faillite, il relève des mesures d’insolvabilité des autres personnes non économiques.
La principale voie constitue le règlement collectif de dettes organisé soit selon la procédure amiable ou la procédure judiciaire devant les juridictions du travail (Cour travail Bruxelles, 12e chambre, 9 octobre 2018, R.G. 2018/12 ; Cour travail Mons, 10e chambre, 16 juin 2020, R.G. 2020/2).
Un médiateur de dettes externe, professionnel, intervient durant la période médiation pour se substituer et représenter le débiteur défaillant dans la gestion des fonds disponibles et payer les créanciers selon un plan de répartition.
A la fin du plan de médiation, le débiteur est libéré totalement des dettes restantes, y compris les impôts, les cotisations sociales, etc. et il peut repartir sur une page blanche.
A la différence de l’effacement, la page blanche n’intervient qu’à la fin de la douloureuse épreuve financière et émotionnelle de période du plan de médiation des dettes.
9) Transposition de la directive 2019/2018
La directive (UE) 2019/1028 du Parlement européen et du conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes doit être transposée en droit belge au plus tard pour juillet 2022.
Son article 2.9 définit l‘entrepreneur comme une personne physique qui exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Ce n’est pas le cas d’un mandataire de personne morale.
Le projet de loi actuellement à l’examen au Conseil d’état ratifiera sans doute cette position et confirmera que les administrateurs, gérants, délégués à la gestion journalière, membre du comité de direction ou du conseil de surveillance, ainsi que toute autre personne qui détiennent ou ont effectivement détenu le pouvoir de gérer l’entreprise, ne peuvent, du fait de cette seule activité, être considérés comme une entreprise au sens du code de droit économique.
10) Conclusion
Pour être une entreprise, le mandataire d’une personne morale doit réunir trois conditions :
- être une organisation ;
- être une personne physique ;
- exercer cette activité professionnelle à titre indépendant ;
Seule la première condition n’est pas remplie automatiquement selon la Cour de cassation. Le mandataire doit démontrer qu’il a mis en place une réelle organisation avec des ressources de nature administrative, humaine et économique pour relever de la définition d’une entreprise.
Le projet de loi à l’examen clarifiera cette notion d’entreprise et en exclura le mandataire.
Disclaimer : Le présent article n’est pas un avis ou une consultation mais une simple information. L’auteur et la rédaction veillent à la qualité, l’actualité et la fiabilité des informations lesquelles ne sauraient toutefois engager leurs responsabilités.
À propos de l’auteur
Jean-Pierre Riquet, conseiller juridique & fiscal, expert au CEd
Source : www.beci.be