Sabena, un drame national raconté sur la Une dans «Le temps d’une histoire» avec Patrick Weber
Retour en nostalgie ce 19 mai sur la Une. La RTBF retrace l’histoire de la compagnie aérienne qui aurait eu 100 ans cette année. Un documentaire émaillé de témoignages poignants du personnel navigant.
Le 7 novembre 2001, une triste nouvelle occupait les J.T.: la Sabena était déclarée en faillite. Le plus gros drame social du royaume mettait sur le carreau 13 000 employés. Il y eut des larmes et de la colère, car des sacrifices pour sauver leur job, le personnel en avait fait… En vain. La Belgique perdait un de ses fleurons. Cette compagnie aérienne était pourtant la troisième la plus ancienne au monde, elle aurait eu 100 ans ce 23 mai.
Un anniversaire avorté, mais une belle occasion pour la RTBF de reparcourir son histoire, qui a fait la fierté de ceux qui y ont travaillé et qui ont contribué à faire rayonner à l’international la renommée de notre pays. Le documentaire réalisé par Marianne Klaric rassemble quantité d’archives exceptionnelles. Il retrace l’épopée de la Sabena jusqu’aux conséquences du rachat par SwissAir qui aboutira à clouer au sol les appareils. Il rappelle de glorieux épisodes oubliés, comme le pont aérien assuré par la Sabena peu de jours après l’indépendance du Congo en 1960. L’ancienne colonie fut plongée dans un tel chaos que le gouvernement réquisitionna les avions pour rapatrier ses ressortissants. Ne comptant pas leurs heures, les pilotes avaient à peine atterris à Bruxelles qu’ils repartaient pour Kinshasa, 25 000 personnes furent rapatriées dans des vols pleins à craquer.
Quand voyager en avion faisait rêver
Le documentaire remet en lumière aussi un événement qui aurait pu se terminer en bain de sang. Le 8 mai 1972, un commando palestinien détourna un vol vers Tel Aviv et plaça des explosifs sous les sièges des passagers. Au bout d’une nuit de négociation, l’assaut fut donné par les Israéliens, camouflés en mécaniciens.
Ce récit chronologique est ponctué par les témoignages de membres du personnel navigant. À travers leurs souvenirs ressurgit le faste de la compagnie. Ils nous replongent dans un passé pas si lointain où voyager en avion était exceptionnel et faisait rêver. À la vue de ces images, certains téléspectateurs se souviendront certainement que dans leur jeunesse, l’excursion du dimanche était d’aller voir les avions décoller de l’aérodrome.
Cette plongée dans la nostalgie ressuscite l’époque des pionniers de l’aéronautique, cette magie qu’on a perdue aujourd’hui. La journaliste est allée à la rencontre de ceux qui ont été formés à l’école d’aviation civile créée en 1953. Ce cursus de trois ans était gratuit et particulièrement exigeant. « Après trois mois de cours, on était jugé en vol. Parmi les épreuves, il y avait celle de faire des acrobaties et de rattraper l’appareil », raconte Roger Polotto. Pas d’autopilote dans ces balbutiements de la technologie…
Entendre ces pionniers décrire l’évolution du métier suscite la fascination perdue pour cette profession qui fut réservée aux hommes jusqu’en 1984. Anne-France Gorremans fut l’une des premières femmes à accéder à l’école d’aviation. Des remarques sexistes et de la condescendance patriarcale, elle en a subi : « J’avais un instructeur qui ne voulait pas me dire bonjour et qui m’a dit clairement que ma place était à l’arrière avec le personnel de cabine. »
Le combat des femmes
L’autre intérêt de ce documentaire est aussi de prendre conscience de l’émancipation féminine qu’a permis la Sabena. La compagnie a aussi ouvert son école d’hôtesse de l’air en 1946, une nouvelle profession décrite en ce temps-là comme « une maîtresse de maison » et que nombre de femmes ont embrassée pour prendre leur envol de leur famille. Les critères de sélection nous semblent aujourd’hui d’un autre âge : il fallait être majeure (21 ans) et ne pas dépasser 30 ans, ne pas avoir d’enfants ni de mari dans les pattes, et avoir du « charme ». « On devait marcher une dizaine de mètres avant d’arriver au jury. J’avais l’impression qu’avant d’ouvrir la bouche, on était jugée sur notre allure », raconte l’une d’elles. Pour les premières, le premier jour de travail coïncidait avec leur baptême de l’air.
Porter l’uniforme d’hôtesse, être pimpante des pieds à la tête, arborer le même rouge à lèvres éclatant, avoir acquis tous les réflexes du protocole était plus qu’un métier, c’était incarner l’image de marque de la Sabena, en être en quelque sorte la publicité vivante. Toutes l’affirment avec le sourire. Jusqu’en 1970, ces dames devaient repasser devant une commission « esthétique » pour être jugées aptes de faire toujours partie de la compagnie. Et après 40 ans, le glas sonnait. Vous aviez atteint la date de péremption, au revoir et merci ! Mais pas si vous étiez steward. Impensable aujourd’hui.
Au milieu des années 1970, une poignée d’hôtesses de l’air se sont battues contre cette discrimination. Elles se sont constituées en union professionnelle, ont intenté une action judiciaire et ont gagné leur procès, si bien que la direction a dû s’incliner. Une révolution qui n’est pas si lointaine de nous et qu’il est bon de rappeler.
Aujourd’hui, le personnel navigant, malgré l’amertume de la fin de leurs activités professionnelles, se remémore ces années avec bonheur. C’est le sentiment qui prévaut en visionnant ce documentaire. Il nous fait renouer avec une sensation qui nous échappe dans notre société où on prend l’avion presque comme la voiture. « La plénitude de faire partie de quelque chose d’autre », définit l’un d’entre eux. « Voler est l’un des derniers espaces de liberté. Au-dessus des nuages, on oublie tout », ajoute une autre. Pour ce moment d’évasion, ce billet gratuit pour le ciel que nous offre la RTBF est un voyage dans le temps et dans un arc-en-ciel d’émotions.
Source: Sudinfo
Voir aussi : Les faillites dans la construction et le transport atteignent un niveau record – 19 Juin 2023