Liège à deux doigts de la faillite – Décembre 2024
Il faut trouver 400 millions d’euros : « L’enjeu, c’est d’éviter la cessation de paiement en 2025 »
Les villes wallonnes vont mal, très mal même ! Leur situation financière est tout bonnement catastrophique, particulièrement à Charleroi et, pire encore, à Liège. La Cité ardente possède une dette abyssale qui dépasse le milliard d’euros et doit trouver, à politique inchangée, pas moins de 400 millions d’ici 2028. Aujourd’hui, Liège est à un fifrelin d’être en cessation de paiement.
C’est plus qu’une sonnette d’alarme, c’est carrément l’alerte au tsunami. Sudinfo a pu mettre la main sur deux rapports confidentiels de 10 pages chacun. L’un porte sur les besoins de refinancement de la Ville de Liège, le second a trait aux réformes à envisager. Ces documents datent du 21 juin dernier, dans la foulée donc des élections fédérales et régionales. Ils sont signés de la main de Christine Defraigne, Première échevine MR de la Ville de Liège en charge des Finances jusqu’à ce lundi encore et ont été adressés à Adrien Dolimont, Pierre-Jeholet et Georges-Louis Bouchez.
389 millions à trouver
Le constat est limpide : Liège, capitale économique de la Wallonie, est quasiment en faillite. Précisons-le d’emblée : Charleroi est quasiment dans le même état et les caisses d’autres villes sont aussi désespérément vides : Mons, Namur, Verviers, Tournai, Ath ou encore La Louvière… Toutes sont dans le même cas et doivent être aidées. Certaines le seront, via le fameux plan « Oxygène » de la Wallonie avec le soutien d’ING et de Belfius. Mais pas les trois grandes villes wallonnes Liège, Charleroi et Mons. 394 millions doivent, en théorie du moins, arriver dans les caisses liégeoises entre 2022 et 2026. Comment ? On ne sait pas encore, en fait.
Ce qui plombe spécifiquement Liège, c’est ce que Christine Defraigne appelle la « loi Daerden », qui instaure en gros une prise en charge d’une partie des pensions du personnel communal directement par la Ville. Contactée par Sudinfo pour commenter ses notes, la libérale affirme, chiffres à l’appui, que « sa » ville va droit dans le mur. « Se rend-on compte qu’à politique inchangée, ce sont quelque 389 millions qui devront être trouvés pour couvrir la période 2024-2028 ! » L’ancienne présidente du Sénat n’y va pas par quatre chemins : « C’est une spirale infernale. Là, le défi, c’est que Liège évite la cessation de paiement pour 2025, ni plus ni moins. »
Dette qui dépasse le milliard
De l’argent à trouver donc, de manière massive, mais aussi… une dette exponentielle à gérer. Plus d’un milliard d’euros, soit plus que le budget cumulé Ville-CPAS-Police. Un gouffre. C’est pourquoi la bientôt ancienne gardienne des cordons de la bourse estime qu’il faut agir d’urgence. « Il y a un besoin de refinancement massif des villes, dont Liège. Si demain, Liège, Charleroi, Mons ou même Namur tombent, cela aura un effet domino catastrophique pour la Wallonie. J’aime profondément ma ville, c’est pourquoi j’ai tiré cette sonnette d’alarme via ces notes qui auraient dû rester confidentielles. Il faut bien prendre conscience que dire « on va venir nous aider », c’est faux, il n’y a plus d’argent nulle part. »
Christine Defraigne veut dès lors un audit complet de tout – Ville, police, CPAS – réalisé par la Wallonie pour définir les mesures drastiques à prendre. Mais celle qui va redevenir avocate ce 2 décembre avertit : « Ce qui risque de se produire si on laisse tomber Liège et les villes, c’est une déflagration qui va ravager la Wallonie ». Pas franchement de quoi se réjouir.
Dans la seconde note qu’elle a confectionnée, Christine Defraigne préconise une série de réformes… qui feront mal. Mais qui s’avèrent nécessaires.
« Nous devons repartir d’une page blanche complète, déterminer les services indispensables que nous devons rendre, objectiver ce que Liège peut encore financer et, surtout, objectiver les services « facultatifs ». Tel est le postulat de départ sur lequel il faudrait, selon Christine Defraigne, repartir pour assainir les finances de Liège comme de l’ensemble des villes wallonnes.
Dans les pistes que la réformatrice avance, certaines feront grincer des dents, à coup sûr.
1. Le personnel. C’est très clairement le sujet qui fâche. Mais aussi le poste qui pèse le plus sur les deniers de la Ville. Liège, c’est 2.800 équivalents temps plein ! Ce qui coûte en tout quelque 300 millions par an si l’on inclut les dépenses et les remboursements des emprunts. Une somme absolument gigantesque, qui pèse un tiers du budget communal. Intenable.
À ce niveau, Christine Defraigne préconise aux édiles libéraux que sont Bouchez, Jeholet et Dolimont de s’attaquer au taux de remplacement des employés qui partent à la pension, d’objectiver les statistiques relatives aux malades de longue durée. Mais aussi de mettre fin aux détachements sans remboursement. Autrement dit, lorsque la Ville de Liège met à disposition d’une ASBL, par exemple, un employé sans demander de rétributions. « 45 temps plein sont détachés chaque année, cela a un impact de 2,4 millions sur notre budget ». Autre piste : le passage de 36 à 38 heures / semaine, ce qui pourrait faire économiser 8 millions d’euros, selon les chiffres de l’échevine liégeoise. Autant dire que ce volet risque de mettre le feu aux poudres au sein du personnel communal…
2. Le CPAS. Si Christine Defraigne veut préserver la police au regard des missions de sécurité à assurer, elle s’attaque par contre au CPAS. En chargeant le fédéral tout d’abord, « qui doit assumer financièrement le revenu d’intégration social », mais aussi en mettant les autorités communales face à leurs responsabilités pour « fusionner la ville et le CPAS ». « Cela pourrait être imposé », affirme même l’intéressée. Qui évoque dès lors de grosses économies d’échelle, mais aussi la vente de biens immobiliers.
3. Les ASBL. Un sérieux tri dans les ASBL aidées. « Certaines sont parfois généreusement subventionnées par la Ville dont la nécessité et/ou la qualité de travail ne nous convainc pas. » Et de pointer a minima : les Manifestations liégeoises, Liège Sport, Liège ville Santé…
4. Les zones de secours. Autrement dit, les pompiers. Là, Christine Defraigne y va franco : les Provinces doivent tout financer, ce qui permettrait à Liège d’épargner environ 15 millions chaque année.
Parmi les autres éléments, la réformatrice point également le volet « enseignement », principalement au regard du coût important relatif à l’entretien des bâtiments scolaires, ou encore le décret « cultes », qui fait que la Ville est dans l’obligation de financer les fabriques d’église, qu’il faudrait revoir en profondeur pour responsabiliser les autorités ecclésiastiques.
Christine Defraigne, ce lundi marque votre dernier jour comme échevine des Finances à Liège. Il y a six mois, vous avez envoyé deux notes très détaillées sur les finances, catastrophiques, de votre ville. Pourquoi ?
Je pars d’un constat de base : il faut que la Wallonie ait conscience des enjeux urbains. Les régions ne se redressent que si les villes phares, les centres urbains se portent bien. Je le dis gravement : si Liège – tout comme Charleroi, Mons ou Namur – se casse la figure, c’est toute la Wallonie qui verra sa note se dégrader. Aujourd’hui, il y a un vrai besoin de refinancement des grandes villes. Mais cela doit aussi aller de pair avec des réformes profondes au niveau communal.
Outre le diagnostic, vous proposez justement des pistes de réformes. Certaines vont faire hurler !
Je sais que je touche à des tabous. Mais on doit vraiment être conscient qu’il y a plein de petites choses à aller chercher en parallèle à de grandes réformes à mener. La philosophie de dire que soit la Wallonie, soit le fédéral va nous aider, on doit arrêter avec ça. Il le faut, en partie, mais on doit aussi prendre nos propres responsabilités.
J’ai proposé des réformes. Mais j’ai l’humilité de dire que je me suis heurtée à un mur. Il n’y a pas plus conservateur qu’un socialiste. Ah si, deux socialistes (sic) !
Christine Defraigne, Future ex-échevine des Finances de Liège :
On vous rétorquera que vous avez géré les finances de Liège durant six ans…
Oui, certains ne se privent pas de jouer sur cet argument de mauvaise foi. Soyons clairs : j’ai hérité des finances après 30 ans de gestion par le PSC/cdH. La cotisation de responsabilisation qui nous tue, c’est signé Michel Daerden, PS. Et puis, on n’avait pas prévu le Covid, les inondations, l’attaque informatique, les travaux interminables de ce tram, le problème de logiciel comptable… J’ai proposé des réformes. Mais j’ai l’humilité de dire que je me suis heurtée à un mur. Il n’y a pas plus conservateur qu’un socialiste. Ah si, deux socialistes (sic) ! Alors, je me suis battue là où je le pouvais, en bloquant notamment tout recrutement en 2021, par exemple.
C’est parce que vous partez que vous alertez ?
J’ai envoyé ces rapports confidentiels en juin dernier car il était important d’attirer l’attention sur nos finances au regard de la nouvelle majorité en Wallonie. C’est parce que j’aime profondément ma ville que je pose ce diagnostic. Tout n’est pas de la faute de Liège, loin de là. Mais si Liège tombe et est en faillite, l’effet domino sera gigantesque.
Liège à deux doigts de la faillite – Décembre 2024
Liège à deux doigts de la faillite – Décembre 2024
Voir aussi: La Wallonie au bord de la faillite